Le chiot fit
la joie de Dick Ellis. C’était un setter irlandais, pur ou presque, une femelle.
Quand elle serait plus âgée, Kojak serait certainement très heureux de faire sa connaissance. La nouvelle se répandit dans la Zone libre et les nouveaux Adam et Ève canins firent oublier mère Abigaël. Susan Stern fut l’héroïne du jour et, à la connaissance des membres du comité, personne ne se demanda ce qu’elle faisait à Monument cette nuit-là, loin au sud de Boulder.
Mais c’est de ce matin où les deux femmes partirent de Boulder que Stu se souvint, ce matin où il les avait vues s’éloigner dans la direction de l’autoroute Denver-Boulder. Car personne dans la Zone ne revit jamais plus Dayna Jurgens.
27 août. La
nuit tombait et Vénus brillait dans le ciel.
Nick, Ralph, Larry et Stu s’assirent sur le perron de la maison de Tom Cullen. Sur la pelouse, Tom jouait au croquet en poussant des hurlements.
– C’est le moment, écrivit Nick.
À voix basse, Stu demanda s’il allait falloir l’hypnotiser à nouveau. Nick secoua la tête.
– Tant mieux, dit Ralph. Je ne crois pas que j’en serais capable. Tom ! appela-t-il en haussant la voix. Hé, Tommy ! Viens par ici !
Tom arriva en courant, souriant de toutes ses dents.
– Tommy, c’est l’heure d’y aller.
Le sourire de Tom s’évanouit. Pour la première fois, il parut remarquer qu’il commençait à faire noir.
– Partir ? Maintenant ?
Putain, non ! Quand il fait noir, Tom va au lit. Putain, oui, il va au lit.
Tom n’aime pas être dehors quand il fait noir. À cause des croque-mitaines. Tom…
Tom…
Il se tut. Les autres le regardaient, gênés. Tom s’était enfermé dans un silence morose. Il en sortit… mais pas à sa manière habituelle. Ce ne fut pas cette renaissance soudaine, la vie qui revenait tout à coup, mais un réveil lent, hésitant, presque triste.
– Partir à l’ouest ? dit-il.
Vous voulez dire, c’est le moment pour ça ?
Stu posa la main sur son épaule.
– Oui, Tom. Si tu peux.
– Sur la route ?
Ralph sentit sa gorge se nouer. Il étouffa un sanglot et alla se réfugier derrière la maison. Tom ne parut pas s’en rendre compte. Il regardait Stu et Nick.
– Voyager la nuit. Dormir le jour.
Et très lentement, dans le noir, Tom ajouta :
– Et voir l’éléphant.
Nick hocha la tête.
Larry alla chercher le sac de Tom qui attendait à côté des marches. Tom passa les bretelles sur ses épaules, distraitement, comme dans un rêve.
– Tu vas faire bien
attention, Tom, dit Larry d’une voix étranglée par l’émotion.
– Attention, putain, oui.
Stu se demanda un peu tard s’ils auraient dû donner à Tom une petite tente. Mais non. Tom n’aurait jamais été capable de monter ne serait-ce qu’une petite tente.
– Nick, murmura Tom. Faut vraiment ?
Nick le prit par le cou et Tom hocha lentement la tête.
– Ah bon.
– Reste sur la grande route, Tom, expliqua Larry. La route où tu vois le chiffre 70. Ralph va t’emmener en moto pour le début.
– Oui… Ralph…
Ralph revenait de derrière la maison. Il s’essuyait les yeux.
– Tu es prêt, Tom ? demanda-t-il d’une voix bourrue.
– Nick ? Ça sera encore ma maison quand je vais revenir ?
Nick hocha vigoureusement la tête.
– Tom adore sa maison. Putain, oui.
– Nous le savons, Tommy.
Stu sentait des larmes chaudes couler au fond de sa gorge.
– Alors ça va. Je suis prêt.
C’est qui qui m’emmène ?
– Moi, Tom, répondit Ralph. Jusqu’à l’autoroute 70. Tu te souviens ?
Tom fit signe que oui et s’avança vers la moto de Ralph. Au bout d’un moment, Ralph le suivit, les épaules basses.
Même la plume de son chapeau n’avait plus son petit air guilleret. Il monta sur sa moto et démarra. Un moment plus tard, ils étaient sur Broadway et tournaient à l’est. Les autres regardèrent la lumière du phare s’éloigner dans le crépuscule pourpre. Puis la lumière disparut derrière un motel. Ils étaient partis.
Nick s’en alla, tête basse, les mains dans les poches. Stu voulut le rejoindre mais Nick secoua la tête, presque violemment, et lui fit signe de le laisser seul. Stu revint auprès de Larry.
– Et voilà, dit Larry.
Stu hocha la tête d’un air malheureux.
– Tu crois qu’on va le revoir, Larry ?
– Si on ne le revoit pas, nous aurons tous du mal à manger et à dormir pour le restant de notre vie, à part Fran peut-être. Elle était contre cette décision.
– Surtout Nick.
– Oui, surtout Nick.
Ils regardèrent Nick qui descendait lentement Broadway, disparaissant peu à peu, perdu dans l’ombre qui grandissait autour de lui. Puis, silencieux, ils regardèrent longuement la maison de Tom où plus une lumière ne brillait.
– Partons d’ici, dit Larry tout à coup. Je pense à tous ces animaux empaillés… J’en ai des frissons dans le dos.
Quand ils partirent, Nick était revenu tout près de la maison de Tom Cullen, mains dans les poches, tête baissée.